Page:Banville - Socrate et sa Femme, 1886.djvu/39

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Socrate.

Le mal dont tu guéris à propos. Taisez-vous !
Xantippe va sortir de ma maison déserte,
Et j’en sens dans mon cœur l’irréparable perte.
Car son utile rage était le fouet têtu
Dont la rude lanière éveillant ma vertu,
Comme l’âne fouaillé par le vieillard Silène,
Tenait ma patience et ma force en haleine.
Si quelqu’un me venait verser, dans ma maison,
La molle flatterie et son subtil poison,
Quand j’avais jusqu’au bout, heureux et fier de vivre,
Savouré ce doux miel trompeur qui nous enivre,
Ma Xantippe farouche, âpre comme la mer,
Me guérissait bien vite avec son fiel amer.
Souvent, amis, loué par tous, on le devine,
J’ai pu me croire issu d’une race divine ;
Mais son souffle railleur, glissant sur mon front nu,
Me disait : « Tu n’es rien que le premier venu ! »
S’endormant et mourant dans un repos vulgaire,
Notre vertu ressemble à ces coursiers de guerre
Qui deviennent oisifs sur le gazon des prés ;
Et lorsque je rêvais, riant aux cieux pourprés,
Oubliant tout, Xantippe accourait dès l’aurore,
Et son cri m’éveillait comme un clairon sonore !

Praxias.

Maître ! viens avec nous.

Antisthènes.

Maître ! viens avec nous. Libre de tous liens,
Pense !

Eupolis.

Pense ! Nous entendrons tes subtils entretiens
Sur les grands Dieux et sur l’éternité des choses,
Près du clair Ilissos, bordé de lauriers-roses.