Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/357

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


XXIV

L’AUBE


À la place où nous nous sommes laissés tomber, nous attendons le jour. Il vient, peu à peu, glacé et sombre, sinistre, et se diffuse sur l’étendue livide.

La pluie a cessé de couler. Il n’y en a plus au ciel. La plaine plombée, avec ses miroirs d’eau ternis, a l’air de sortir non seulement de la nuit, mais de la mer.


À demi assoupis, à demi dormants, ouvrant parfois les yeux pour les refermer, paralysés, rompus et froids — nous assistons à l’incroyable recommencement de la lumière.

Où sont les tranchées ?

On voit des lacs, et, entre ces lacs, des lignes d’eau laiteuse et stagnante.

Il y a plus d’eau encore qu’on n’avait cru. L’eau a tout pris ; elle s’est répandue partout, et la prédiction des hommes de la nuit s’est réalisée : il n’y a plus de tranchées, ces canaux ce sont les tranchées ensevelies. L’inondation est universelle. Le champ de bataille ne dort pas, il est mort. Là-bas, la vie continue peut-être, mais on ne voit pas jusque-là.


Je me soulève à moitié, péniblement, en oscillant, comme un malade, pour regarder cela. Ma capote m’étreint