Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/75

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Un vent âpre d’hiver flagelle la peau, balaye et disperse les paroles, les soupirs.

Enfin le soleil perce cette buée qui s’étale sur nous et dont le contact nous trempe. C’est comme une clairière féerique qui s’ouvre au milieu des nuages terrestres.


Le régiment s’étire, se réveille vraiment, et lève doucement ses faces dans l’argent doré du premier rayon.

Puis, très vite, le soleil devient ardent, et alors, il fait trop chaud.

On halète dans les rangs, on sue, et on grogne plus encore que tout à l’heure, lorsqu’on claquait des dents et que le brouillard nous passait son éponge mouillée sur la figure et les mains.

La région que nous traversons dans la matinée torride, c’est le pays de la craie.

— I’s empierrent avec de la pierre à chaux, ces salauds-là !

La route s’est faite aveuglante et c’est maintenant un long nuage desséché de calcaire et de poussière qui s’étend au-dessus de notre marche et nous frotte au passage.

Les figures rougeoient, se vernissent et brillent ; telles faces sanguines semblent enduites de vaseline ; des joues et des fronts se plaquent d’une couche bise qui s’agglutine et s’effrite. Les pieds perdent leur vague forme de pieds, et semblent avoir barboté dans des auges de maçons. Le sac, le fusil se saupoudrent de blanc, et notre foule en longueur trace à droite et à gauche un sillage laiteux sur les herbes de bordure.

Pour comble :

— À droite ! Un convoi !

On se porte sur la droite, à la hâte, non sans bousculades.

Le convoi de camions – longue chaîne d’énormes bolides carrés, enroulés dans un infernal tintamarre – se rue sur la route. Malédiction ! Il soulève à mesure, en