Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

milieu de la figure un drôle de grand nez qui ne lui va pas.

Dans le village, des bandes de poilus passent, ou des couples, liés par les liens entre-croisés du dialogue. On voit des isolés se joindre deux à deux, se quitter, puis, pleins encore de conversations, se rejoindre à nouveau, attirés l’un vers l’autre comme par un aimant.

Une cohue acharnée : au milieu, des blancheurs de papier ondoient. C’est le marchand de journaux qui vend, pour deux sous, les journaux à un sou. Fouillade est arrêté au milieu du chemin, maigre comme la patte d’un lièvre. À l’angle d’une maison, Paradis présente dans le soleil sa face rose comme le jambon.

Biquet nous rejoint, en petite tenue : veste et bonnet de police. Il se lèche les babines.

— J’ai rencontré des copains. On a bu un coup. Tu comprends ; demain, va falloir se remettre à gratter ; et, d’abord, nettoyer ses frusques et son lance-pierres. Rien qu’ma capote, ça va être quéqu’chose, à tirer au clair ! C’est pus une capote, c’est une doublure d’une manière de cuirasse.

Montreuil, employé au bureau, surgit, et hèle Biquet :

— Eh, l’chiard ! Une lettre. V’là une heure qu’on t’cherche après ! T’es jamais là, œuf !

— J’peux pas être ici z’et là, gros sac. Donne voir.

Il examine, soupèse, et annonce en déchirant l’enveloppe :

— C’est d’ma vieille.

On ralentit le pas. Il lit en suivant les lignes avec son doigt, en hochant la tête d’un air convaincu, et en remuant les lèvres comme une dévote.

À mesure qu’on gagne le centre du village, l’affluence augmente. On salue le commandant, et l’aumônier noir qui marche à côté, comme une promeneuse. On est interpellé par Pigeon, Guenon, le jeune Escutenaire, le chasseur Clodore. Lamuse semble être aveugle et sourd, et ne plus savoir que marcher.