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journal de ma vie

Ainsy tout fut rompu, et de ces dix mille hommes passés en demeura plus de sept mille sur la place, et plus de mille noyés, voulans repasser le Danube a nage. Il y eut quelque mille chevaux quy s’escarterent dans l’isle, quy furent en suitte aussy deffaits, et la pluspart tués[1].

Il m’arriva un accident en ce combat, quy me pensa perdre. J’estois monté sur un cheval d’Espaigne alesan, beau et bon, quy m’avoit cousté mille escus de Geronimo Gondy ; mais il estoit un peu ardent. Il receut dans le combat un coup de sagaye au dessus de l’œil, quy le fit battre a la main, de sorte qu’il rompit sa gourmette. Je ne m’en aperceus point dans la premiere charge ; mais lors que les ennemis lascherent le pié, je m’aperceus qu’en peu de temps je n’estois pas seulement le premier des poursuivants, mais plus avant que je ne voulois dans les fuyards, de sorte que, voulant retenir l’ardeur de mon cheval, je vis qu’il m’estoit impossible de l’arrester. Lors je le pris par une des resnes pour le faire tourner à gauche, ce qu’il fit ; mais il prit sa course dans un gros de mille Turcs, quy se retiroint n’ayant point combattu, et s’alloit jetter dedans, sans que Des Estans, quy me servoit d’escuyer, se jetta a la bride, qu’il luy haussa de telle sorte qu’il me donna loysir de me jetter a terre a vingt pas des Turcs, quy n’oserent tourner pour me venir tuer, dont ils montroint grand desir ; car j’avois des armes dorées, gravées, tres belles, et quantité de plumes et d’escharpes sur moy et sur mon cheval. Le

  1. Voir à l’Appendice. VIII.