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1605. avril.

quy croyois qu’il me parlat sans feintise, luy fis mille protestations de service et d’affection. Il me dit que le roy sçavoit que cette lettre luy estoit tombée entre les mains, et qu’il falloit que je luy envoyasse promptement une lettre que quelque autre femme m’eut escrite, pour luy montrer ; ce que je fis en diligence, et envoyai a l’heure mesme a Antragues sçavoir sy elle avoit receu cette lettre. Mais comme elle m’eut mandé qu’elle n’avoit veu personne de la part du marquis, allors, forcené de collere, et perdu dans ce ressentiment, j’allay droit au logis du dit marquis pour ravoir ma lettre, ou pour l’outrager : mais par les chemins je rencontray Mr d’Esguillon et Mr de Crequy quy m’arresterent pour sçavoir mon dessein : « Je vas, leur respondis-je, cheux le marquis de Cœuvres, ravoir une lettre qu’il a trouvée, qu’Antragues m’escrivoit ; et s’il ne me la rend, je suis résolu de le tuer. »

Lors ils me remontrerent que je courois un peril extreme, sans moyen d’en eschapper, d’aller tuer un homme dans son logis parmi tous ses gens ; et que luy, seroit bien lache s’il me la rendoit, y allant de la sorte ; mais qu’il valoit mieux y envoyer un de mes amis, et Crequy s’offrit d’y aller. Il trouva le marquis fort eslongné de me la rendre, comme il s’estoit auparavant offert, parlant a moy : au contraire il dit qu’il se vouloit servir de l’occasion que la fortune luy presentoit de se venger de moy. Crequy luy dit que cette affaire ne se passeroit pas ainsy, et que, ma vie y estant attachée, il ne devoit point rechercher ce quy peut-estre luy pourroit causer un grand malheur. En fin il pria Crequy de revenir le lendemain a six heures