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journal de ma vie.

chasque coup de fouet que la mauvaise fortune nous donne, je continue de la presser. Quand j’ay veu qu’un grand party s’est eslevé en France quy m’a pris pour pretexte de sa soulevation, qu’il m’a desclaré un des cinq tyrans qu’il vouloit ruiner et destruire ; quand Mr Dolet quy estoit ma creature, mon conseil, et mon affidé amy, et j’ose dire serviteur, m’est mort ; quand un infame cordonnier de Paris m’a fait un affront, a moy mareschal de France ; quand j’ay esté forcé de establissement de Picardie, ma citadelle d’Amiens, et laisser Ancres[1] en proye de Mr de Longueville mon ennemy ; quand j’ay esté contraint de me retirer ou pour mieux dire de m’enfuir en Normandie, j’ay fait voir a ma femme que parmy les grandes obligations que nous avions a Dieu, celle de nous avertir de faire nostre retraitte n’estoit pas des moindres. Nous avons veu en suitte saccager nostre maison avec perte de plus de deux cens mille escus ; nous avons veu pendre sur nostre moustache deux de nos gens pour avoir donné de nostre part des bastonnades a ce maraut de cordonnier : que voulions nous plus attendre sinon que nostre fille par sa mort nous avertit que la nostre et nostre ruine est prochaine et qu’il y a encores lieu de l’esviter, sy promptement nous voulons songer a une retraitte a laquelle je pensois avoir bien preveu en offrant six cens mille escus au pape pour l’usuffruit nostre vie durant du duché de Ferrare ou nous eussions passé en paix le reste de nos jours et laissé encores deux millions d’or de succession

  1. Ancre, en Picardie, s’est appelé Albert par suite de la confiscation qui le donna à Luynes.