Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/58

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Si vous la rencontrez, bizarrement parée,
Se faufilant, au coin d’une rue égarée,
Et la tête et l’œil bas, comme un pigeon blessé,
Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,

Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d’ordure
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse Famine a, par un soir d’hiver,
Contrainte à relever ses jupons en plein air.

Cette bohême-là, c’est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m’a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.



[Épitaphe pour lui-même[1].]
Ci-gît, qui pour avoir par trop aimé les gaupes,
Descendit jeune encore au royaume des taupes.
[1841-1842.]



Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne[2],
Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne,
Que, jour à jour, la peau des hommes a fourbis,
Nous traînions tristement nos ennuis, accroupis
Et voûtés sous le ciel carré des solitudes,
Où l’enfant boit, dix ans, l’âpre lait des études.
C’était dans ce vieux temps, mémorable et marquant,
Où, forcés d’élargir le classique carcan,
Les professeurs, encor rebelles à vos rimes,

  1. Jacques Crépet, op. cit.
  2. Eug. Crépet, op. cit.
    Cette pièce était incluse dans la première lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve ( V. Lettres, 1884) - signée Baudelaire-Dufays.