Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/59

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Succombaient sous l’effort de nos folles escrimes
Et laissaient l’écolier, triomphant et mutin,
Faire à l’aise hurler Triboulet en latin. —
Qui de nous, en ces temps d’adolescences pâles,
N’a connu la torpeur des fatigues claustrales,
— L’œil perdu dans l’azur morne d’un ciel d’été,
Ou l’éblouissement de la neige, — guetté,
L’oreille avide et droite, — et bu, comme une meute,
L’écho lointain d’un livre, ou le cri d’une émeute ?

C’était surtout l’été, quand les plombs se fondaient,
Que ces grands murs noircis en tristesse abondaient,
Lorsque la canicule ou le fumeux automne
Irradiait les cieux de son feu monotone,
Et faisait sommeiller, dans les sveltes donjons,
Les tiercelets criards, effroi des blancs pigeons ;
Saison de rêverie, où la Muse s’accroche
Pendant un jour entier au battant d’une cloche ;
Où la Mélancolie, à midi, quand tout dort,
Le menton dans la main, au fond du corridor, —
L’œil plus noir et plus bleu que la Religieuse,
Dont chacun sait l’histoire obscène et douloureuse,
— Traîne un pied alourdi de précoces ennuis,
Et son front moite encor des langueurs[1] de ses nuits.
— Et puis, venaient les soirs malsains, les nuits fiévreuses,
Qui rendent de leurs corps les filles amoureuses,
Et les font, aux miroirs, — stérile volupté, —
Contempler les fruits mûrs de leur nubilité, —
Les soirs italiens, de molle insouciance,
— Qui des plaisirs menteurs révèlent la science,
— Quand la sombre Vénus, du haut des balcons noirs,
Verse des flots de musc de ses frais encensoirs. —

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce fut dans ce conflit de molles circonstances,
  1. C’est « longueurs » qu’on lit chez M. E. Crépet, mais le contexte exige évidemment « langueurs ».