Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les petites filles ! les petites filles ! Mon Dieu ! n’y a-t-il pas une littérature pour les petites filles ? n’y a-t-il pas des écrivains qui se dévouent par vocation ou par nécessité à composer de petites historiettes sans dard et sans venin ? Est-ce qu’il n’y a pas des auteurs pour enfants et même des auteurs pour dames ? L’ignorance est une vertu pour les filles, l’art n’est donc pas fait pour elles. Faites-leur lire l’Histoire des Voyages ou les Lettres édifiantes ; abonnez-les aux bibliothèques paroissiales ; mais écartez d’elles tout livre qui a l’art ou la passion pour but ; vers, romans, pièces de théâtre ; le meilleur n’en vaut rien pour elles. N’avons-nous pas vu récemment un écrivain religieux d’un grand zèle tenter « s’il ne serait pas possible de composer un roman avec des personnages, des sentiments et un langage chrétiens[1] ? » Il a réussi à faire un bréviaire de séduction, où les filles les moins délurées et les plus pieuses apprendront à tromper la vigilance de leurs parents et à forcer, par les moyens les moins catholiques, les cœurs qu’elles ont choisis.

V

Je me laisse entraîner, je le sens, par ces considérations, un peu allongées peut-être, mais que je ne crois pas déplacées à propos d’un livre d’art, et que dans tous les cas je ne crois pas inutiles.

Il faut bien cependant que le public sache ce qu’est ce poëte terrible dont on veut lui faire peur. Pour nos lecteurs,

  1. Corbin et d’Aubecourt, par M. Louis Veuillot.