Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/409

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Qu’appelait la débauche en son gouffre béant.
Las de voir ses conseils, son exemple à néant,
Le père, à l’hôpital des impudiques femmes,
Un jour, mena son fils, et sur les lits infâmes
Lui montrant la torture et l’horreur de la chair :
« Crois-tu que leurs plaisirs soient payés assez cher ? »
Et de là, sous le toit des hommes, leurs complices,
Épouvanta ses yeux par les mêmes supplices,
Et, — ce que n’avaient fait prières ni sermons, —
Le spectacle du mal, qu’en tremblant nous nommons,
Rappela vers le bien le jeune homme en délire.

Cette cure terrible est le droit de la lyre.
Le droit pour chaque vice… et le poëte aussi,
Tuteur honni d’un siècle à mal faire endurci,
Doit pétrir hardiment, comme un remède étrange,
— Cynique par vertu, — le sang avec la fange,
Sûr d’effrayer du moins ceux qu’il ne touche plus.
— Tel est cet empirisme auquel tu te complus,
Baudelaire, héroïque et sauvage système,
Qu’un monde inattentif peut frapper d’anathème,
Car il le faut creuser en toute liberté,
Pour en bien concevoir l’âpre nécessité.
Tu mis un grand talent au bout d’un grand courage,
Et traversas ainsi le formidable orage.
On le reconnaîtra, poëte ; on ne peut pas
Condamner le chemin pour quelques mauvais pas…
L’âme est un noir mystère, et peut-être la tienne
Cache-t-elle en ses plis toute la loi chrétienne.
Seulement, tu devras, crois-moi, la dégager,
Et, dans le champ du mal rapide passager,
Loin de ce sombre enfer t’en aller, sur ton aile,