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saierai de suggérer et qui formera même l’invisible fond de cette étude ?

Un Verhaeren ne peut être jugé que d’après cet unique étalon : lui-même.

Verhaeren est avant tout une sensibilité en concordance avec son temps. Il s’est mesuré avec le monstre et il est sorti vainqueur de la rencontre. Ce trait seul suffirait à le distinguer des poètes contemporains dont aucun, je crois, n’a tenté l’aventure en grand. De plus, par ce qu’il a su faire entrer d’universel en son art — tout en laissant parler en lui sa race, à voix très haute — il déborde les limites d’une patrie ou de deux, comme il échappe aux formules et aux coteries. Dans son œuvre les horizons sont illimités. Individualité à tendances mondiales, le poète des Villes Tentaculaires ne s’est pas contenté pour lot d’un enclos. Vastes furent ses appétits, amples ses curiosités. Il a des accents qui, de New-York à Moscou, feront vibrer les mêmes fibres intra-humaines. Aussi son nom s’est-il imposé largement au dehors. Nul autre poète de langue française n’éveille, à l’heure présente, autant d’échos par à travers la grande conscience européenne ou occidentale. Si ses racines ont puisé leur nourriture première aux limons de l’Escaut, qui pourrait dire, après que l’arbre a tellement grandi, à quelle province plutôt qu’une autre appartiennent les rameaux touffus de son feuillage ?

Il est peut-être temps aujourd’hui de reconnaître la situation qu’occupe en réalité Verhaeren et de clairement l’affirmer.