Page:Bazan - Vol de papillons, 1887.djvu/5

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et je soupirais d’aise, lorsque tout inspecté, tout bien en place, elle me permettait de m’asseoir dans sa bergère, tandis qu’elle humait amoureusement la tasse de café au lait qu’on lui servait à heure fixe.

Cette bergère en velours d’Utrecht rouge, une vraie bergère Louis XVI, qui avait peut-être vu bien des marquises appuyer leurs têtes mignonnes sur son dossier mollet, m’intriguait singulièrement ; j’avais lu les « Contes à ma fille », et à l’instar du fauteuil du grand père, je me figurais qu’elle pourrait bien avoir un double fond ; aussi, lorsque je restais seule dans la chambre, je la tâtais de tous les côtés, m’imaginant qu’un ressort caché allait partir à l’improviste, et qu’une couronne de roses blanches, un bracelet, un éventail allait apparaître à mes regards charmés. Mais j’en fus pour mes recherches et pour ma curiosité, car je n’y découvris jamais, au grand jamais, la plus minuscule cachette.

Je touchais à ma huitième année lorsque se passa le fait suivant que je n’ai jamais oublié ; il est resté bien longtemps un de mes plus riants souvenirs d’enfance ; il s’y mêle aujours d’hui, lorsque ma pensée s’y reporte, une nuance très vive d’attendrissement.

J’avais comme compagnon de jeux un jeune garçon de douze ans nommé Henry Coustou ; c’était l’enfant le plus intelligent qui fut au monde ; doué pour la musique d’une remarquable façon, avec cela lutin et espiègle au possible. Nous nous plaisions beaucoup ensemble et notre plus grand bonheur, lorsque la pluie tombant à verse, nous empêchait de courir dans le jardin, était de regarder des livres d’images sur la table de ma grand’mère, dans la chambre de celle-ci, et sous sa haute surveillance. Henry me faisait sur chaque « bonhomme » un miraculeux boniment, et je riais aux grands éclats de ses impossibles histoires.

Un lundi de Pâques, il faisait un temps à ne pas mettre un dromadaire à la porte ; nous étions très absorbés dans notre distraction préférée, lorsque la vieille Rosalie, la bonne qui nous a vues naître, vint dire à ma grand’mère que la comtesse de Houtmar était au salon, et désirait vivement la voir.

On ne pouvait songer à laisser en plan madame la Comtesse, d’autant que ma mère était sortie, et mon père à ses affaires.

— Je descends, Rosalie, dit ma grand’mère, mais alors vous allez rester avec les enfants ?

— Oh ! impossible, madame, Hermance dort et je ne peux la quitter ; mais M. Henry est très raisonnable, et il fera bien attention à Berthe ; n’est-ce pas, M. Henry ?

— Cent fois oui, Rosalie ; vous pouvez en être sûre. Et voilà ma grand’mère et Rosalie qui sortent l’une derrière l’autre, la seconde suivant la première, comme dans la chanson des trois poules qui vont aux champs.

Henry m’expliquait avec sa malice habituelle l’histoire du