Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/22

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Il reprit, d’une voix toute basse :

— J’attendrais tant qu’il vous plairait pour l’avoir. Elle est jeune et moi aussi. Dites seulement le temps, et je dirai oui.

Mais le métayer répondit :

— Non, ça ne se peut. Il faut t’en aller.

Le valet tressaillait de tout le corps. Il hésita un moment, les sourcils froncés, le regard attaché à terre. Puis il se décida à ne pas dire sa pensée : « Je n’y renonce pas. Je reviendrai. Je l’aurai. » Comme ceux de sa race taciturne, il renferma son secret, et, ramassant l’argent, il le compta, en laissant tomber les pièces une à une, dans sa poche. Puis, sans ajouter un mot, comme si le métayer n’eût plus existé pour lui, il se mit à rassembler les quelques vêtements et le peu de linge qui étaient à lui. Tout pouvait tenir dans sa blouse bleue qu’il noua par les manches au canon de son fusil, moins une paire de bottes qu’il pendit avec une ficelle. Quand il eut fini, levant son chapeau, il prit la porte.

Dehors, il faisait grand soleil. Jean Nesmy marchait lentement. La volonté hardie qui était en ce frêle garçon lui tenait la tête haute, et il regardait du côté de la maison, cherchant Rousille aux fenêtres. Il ne la vit point. Alors, au milieu de ce grand carré vide, lui le valet, lui le chassé, lui qui n’avait plus qu’un instant à demeurer à la Fromentière, il appela :

— Rousille !

Une coiffe aiguë dépassa l’angle du portail. Marie-Rose s’échappa de son abri. Elle s’élança, la figure toute baignée de larmes. Mais presque aussitôt elle s’arrêta, intimidée par la vue de son père qui venait d’apparaître sur le seuil de la chambre, saisie de peur parce qu’un cri s’élevait du même côté de la cour, à cinquante pas de là, et faisait se détourner Jean Nesmy :

— Dannion !

Une apparition monstrueuse sortait de l’étable. L’infirme, tête nue, les yeux hagards, agité d’une colère impuissante, accourait. Les bras raidis sur ses béquilles, son torse énorme secoué par les cahots et par ses grognements de bête furieuse, la bouche ouverte, il répétait le vieux cri de haine contre l’étranger, l’injure que