Page:Beaumarchais - Œuvres choisies, édition 1913, tome 2.djvu/175

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en plaindre ? et si, ne désignant ni temps, ni lieu, ni
personnes, il ouvre la voie, au théâtre, à des réformes désirables,
n’est-ce pas aller à son but ?

La Folle Journée explique donc comment, dans un temps prospère, sous
un roi juste et des ministres modérés, l’écrivain peut tonner sur les
oppresseurs, sans craindre de blesser personne. C’est pendant le règne
d’un bon prince qu’on écrit sans danger l’histoire des méchans rois ; et
plus le gouvernement est sage, est éclairé, moins la liberté de dire est
en presse : chacun y fesant son devoir, on n’y craint pas les allusions :
nul homme en place ne redoutant ce qu’il est forcé d’estimer ; on
n’affecte point alors d’opprimer chez nous cette même littérature, qui
fait notre gloire au dehors, et nous y donne une sorte de primauté que
nous ne pouvons tirer d’ailleurs.

En effet, à quel titre y prétendrions-nous ? Chaque peuple tient à son
culte et chérit son gouvernement. Nous ne sommes pas restés plus braves
que ceux qui nous ont battus à leur tour. Nos mœurs plus douces, mais
non meilleures, n’ont rien qui nous élève au-dessus d’eux. Notre
littérature seule, estimée de toutes les nations, étend l’empire de la
langue française, et nous obtient de l’Europe entière une prédilection
avouée, qui justifie, en l’honorant, la protection que le gouvernement
lui accorde.

Et comme chacun cherche toujours le seul avantage qui lui manque, c’est
alors qu’on peut voir dans nos académies l’homme de la cour siéger avec
les gens de lettres, les talens personnels, et la considération héritée,
se disputer ce noble objet, et les archives académiques se remplir
presque également de papiers et de parchemins.