Page:Beaunier - La Poésie nouvelle, 1902.djvu/193

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Les poèmes des Heures claires sont des variations harmonieuses sur le thème unique de la joie. Tout est calme et tout est beau. La Nature, autrefois hostile et qui se peuplait de sinistres prestiges, s’est faite amicale et familière. De jolis rêves y circulent et des paroles d’amour très doux, très tendre ; on les dirait exhalées par le beau paysage, dans la clarté, dans la splendeur du jour…

Le vers de Verhaeren, qui généralement est vigoureux avec un peu de rudesse, ici s’est adouci ; il n’a plus ces coupes violentes, ce rythme obsédant qui, ailleurs, semble marteler l’idée : il s’étend, se prolonge, il se fait berceur, langoureux, — et presque silencieux parfois, comme tout à l’extase de son admiration charmée, en présence enfin du bonheur.


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Cette note suave restera, d’ailleurs, très rare, chez Verhaeren. L’apparition lumineuse du Saint-Georges, dans ses rêves, ne pouvait le détourner à tout jamais de la réalité, qu’il continue à voir tragique. Elle l’a guéri seulement des cauchemars redoutables qui transformaient pour lui les choses en visions d’effroi. Réglée désormais et soumise au contrôle de la raison, sa puissance d’hallucination va se transformer en un don prodigieux d’évocation symbolique. Son horizon s’ornera d’idées, comme il est hanté de fantômes.

Cette heureuse modification se manifeste dans les admirables poèmes des Villages illusoires[1]. Dans

  1. Les Villages illusoires. Deman (Bruxelles), 1895. Réimpression dans la 3e série des Poèmes, (Mercure de France, 1899).