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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

XII

LE CARROSSE BLEU.


Nos lecteurs se demanderont peut-être comment cet homme unique passait aussi soudainement d’un caprice à l’autre, et quel corps d’acier il mettait au service de ses plaisirs. Ce n’est point à nous qu’il appartient d’expliquer ici des constitutions organiques dans le genre de celles de Buckingham, de Lauzun ou de Richelieu. En formant ces hommes privilégiés, la nature voulut sans doute se mirer dans elle-même, à des âges différents ; aucun d’eux ne se ressembla. Les uns obéirent à leurs instincts, d’autres à la mode, d’autres à l’ambition. Vouloir les définir serait une tâche pour laquelle nous ne nous sentons aucune aptitude. Le portrait que la Bruyère a laissé lui-même de Lauzun[1] est imparfait, et fût-il exquis, il n’expliquerait encore rien. Comment définir, en effet, cette soif insatiable de bonnes fortunes, cette rage de succès qui tourmentait le comte, même après sa sortie de Pignerol, et quand il n’eût dû songer qu’au repos ? Est-ce parce que Lauzun n’aimait point Mademoiselle ? Est-ce parce qu’il était véritablement encore jeune, et que la prison, loin d’amoindrir ses forces, les avait doublées ? Ou bien la vanité seule était-elle le mobile de ce roué sérieux qui se vantait[2] d’avoir fait morfondre le roi à la porte de madame de Monaco ?

Mais laissons à de plus habiles que nous le soin de préciser les motifs de cette humeur inconstante, fantasque et souvent coupable, au vent de laquelle le comte s’abandonnait. Disons cependant que cette fois, en se rabattant ainsi sur un autre espoir, le comte avait une excuse. Un sorcier l’avait joué indignement ; Riom, témoin de la scène, ne

  1. V. Straton, chapitre de la Cour
  2. Choisy.