Page:Bedier - La Chanson de Roland.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

art, les ressources et la fière tenue, très raffinée, d’une langue ingénieuse, nuancée, volontaire, et qui révèle un souci constant de distinguer l’usage vulgaire du bon usage. Ce style est déjà d’un classique, il est déjà un style noble. Dès le début du XIIe siècle, la France des premières croisades tend de la sorte à créer, à constituer en dignité, par-dessus la diversité et la rusticité de ses dialectes et de ses patois, cette merveille, une langue littéraire. Ce fut, à cette date, l’œuvre de trois ou quatre grands poètes. Ce fut, avant eux, éparse dans les classes les plus cultivées, l’œuvre mystérieuse de plusieurs siècles d’efforts spirituels et de vertus. J’ai voulu sauver dans ma traduction cette qualité souveraine du vieux maître, la noblesse. Comment y parvenir ? Tant d’éléments de sa syntaxe, après huit siècles écoulés, sont tombés en désuétude ! Tant de termes de son vocabulaire ont péri, ou, ce qui est pire, survivent, mais détournés de leur sens premier, affaiblis on avilis ! Je n’ai tenté d’en restaurer aucun : ce qui est mort est mort. Archaïser selon les procédés usuels, c’eût été courir