Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/13

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entre autres, la pièce de vers intitulée le Widsith ou Voyageur au long cours qui mentionne, au hasard d’une liste fastidieuse de noms propres, les principaux personnages de la période des invasions barbares, personnages dont s’empara l’imagination poétique dès l’aurore du moyen-âge. Telle est encore la série de petites strophes, probablement des quatrains à l’origine, auxquelles on a donné le titre de la Plainte de Deor et que nous avons traduites à la suite du Beowulf. Elle fait allusion, tout en étant fort brève, à l’histoire du Vulcain teuton, Weland, à celle d’Attila et de Théodoric de Vérone et à celle du roi Eormanric, dont la tyrannie avait laissé les plus pénibles souvenirs chez les Ostrogoths et les tribus voisines au moment où expirait l’empire romain. Mais ce ne sont là après tout que des ébauches informes et imparfaites. Il nous reste mieux pour avoir une idée à peu près suffisante des chants populaires dont parlent les historiens des premiers siècles de l’ère chrétienne et dont la plupart ont péri sans laisser de traces. Si le vieil allemand conserve dans le Hildebrandslied un reste précieux des cantilènes primitives, le vieil anglais n’est pas moins favorisé. Il garde, en effet, comme témoin d’un lointain passé et comme unique spécimen d’une forme littéraire trop vite ensevelie dans l’oubli, le beau fragment du Combat de Finnsburg. Celui-ci, que nous avons donné en entier, traite une matière frisonne se rattachant à l’épisode du roi Finn et de sa fin tragique raconté dans le Beowulf (v. 1068-1159) et reproduit, semble-t-il, un de ces anciens chants dont la fusion avec d’autres devait par la suite conduire à de vastes compositions épiques. Mais il y manque encore la sérénité d’âme du jongleur qui s’amuse à broder sur son sujet. On y sent un poète tout subjectif pour qui le récit n’est rien et l’action seule est tout, qui s’identifie avec ses héros au point de ne pas songer à les contempler en spectateur, et qui se laisse entraîner par l’ardeur du combat et l’emportement de la passion au lieu de se complaire à de belles narrations.

Mais les années se passent et voici le Waldere. Étroitement apparenté au Waltharius qu’écrivit en hexamètres latins le moine Ekkehard du monastère de St-Gall[1], il diffère considérablement du Combat de Finnsburg par le ton. Bien qu’il n’en soit parvenu à la postérité que deux fragments d’une trentaine de vers — réunis ici avec d’autres petits extraits après le Beowulf — l’impression qui s’en dégage est celle d’une œuvre à la fois plus importante et plus littéraire que la précédente. On est porté à croire que les deux morceaux retrouvés se rattachaient à quelque ensemble où la matière d’Attila et de ses otages était traitée avec l’ampleur voulue. En tous cas, l’auteur n’est plus hypnotisé par son sujet au point d’en

  1. Ou plutôt Geraldus de Toul, comme l’ont montré MM. J. Flach et M. Wilmotte dans leurs études récentes de la Revue des Études Historiques et de la Revue Historique.