Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/15

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Béjarec fut d’abord marié. Son mariage même avait, sinon désuni, du moins séparé deux sœurs jumelles qui s’adoraient et ne s’étaient point quittées une minute depuis leur enfance. L’une s’appelait Marie-Anne et l’autre Anne-Marie. Cette dernière se maria à son tour, et le sort voulut que, tandis que Marie-Anne moulait tous les neuf mois un petit ou une petite Béjarec, Anne-Marie demeurât désastreusement stérile. C’est une grande douleur dans nos campagnes et une honte, et les paysans, quoique chrétiens, ont là-dessus des idées du plus pur paganisme. Et Marie-Anne se désolait du chagrin de la chère sœur bréhaigne.

Elle s’en ouvrit un soir à celui qu’elle appelait par badinage son « à-tout-coup », et, de fil en aiguille, elle en vint à lui suggérer de s’en mêler un peu. Cela resterait en famille et elle n’était pas jalouse d’Anne-Marie. Peut-on l’être de sa chair même ? Et puis, elle en avait son compte, étant grosse du onzième, et vraiment sa pauvre bessonne était trop déshéritée, avec son mari invalide !

— Si tu veux, mon Yan, lui dit-elle, j’arrangerai la chose, et personne n’en saura rien que le bon Dieu et nous.

— Vère, fit gravement le brave Béjarec,