Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/122

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pendant le sommeil, et que, même si elle n’y est pas encouragée par le jeu incohérent des images, la faculté de raisonner s’amuse parfois alors à contrefaire le raisonnement normal. Mais on en dirait autant de toutes les autres facultés. Ce n’est donc pas par l’abolition du raisonnement, non plus que par l’occlusion des sens, que nous caractériserons l’état de rêve. Laissons de côté les théories et prenons contact avec le fait.

Il faut instituer une expérience décisive sur soi-même. Au sortir du rêve — puisqu’on ne peut guère s’analyser au cours du rêve lui-même — on épiera le passage du sommeil à la veille, on le serrera d’aussi près qu’on pourra : attentif à ce qui est essentiellement inattention, on surprendra, du point de vue de la veille, l’état d’âme encore présent de l’homme qui dort. C’est difficile, ce n’est pas impossible à qui s’y est exercé patiemment. Permettez ici au conférencier de vous raconter un de ses rêves, et ce qu’il crut constater au réveil.

Donc, le rêveur se croit à la tribune, haranguant une assemblée. Un murmure confus s’élève du fond de l’auditoire. Il s’accentue ; il devient grondement, hurlement, vacarme épouvantable. Enfin résonnent de toutes parts, scandés sur un rythme régulier, les cris : « À la porte ! à la porte ! » Réveil brusque à ce moment. Un chien aboyait dans le jardin voisin, et avec chacun des « Ouâ, ouâ » du chien un des cris « À la porte » se confondait. Voilà l’instant à saisir. Le moi de la veille, qui vient de paraître, va se retourner vers le moi du rêve, qui est encore là, et lui dire : « Je te prends en flagrant délit. Tu me montres une assemblée qui crie, et il y a simplement un chien qui aboie. N’essaie pas de fuir ; je te