Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/128

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si l’on n’en réglait pas le déroulement, Précipitation, pas plus qu’abondance, n’est signe de force dans le domaine de l’esprit : c’est le réglage, c’est toujours la précision de l’ajustement qui réclame un effort. Que la mémoire interprétative se tende, qu’elle fasse attention à la vie, qu’elle sorte enfin du rêve : les évènements du dehors scanderont sa marche et ralentiront son allure, — comme, dans une horloge, le balancier découpe en tranches et répartit sur une durée de plusieurs jours la détente du ressort qui serait presque instantanée si elle était libre.

Resterait à chercher pourquoi le rêve préfére tel ou tel souvenir à d’autres, également capables de se poser sur les sensations actuelles. Les fantaisies du rêve ne sont guère plus explicables que celles de la veille ; du moins peut-on en signaler la tendance la plus marquée. Dans le sommeil normal, nos songes ramènent plutôt les pensées qui ont passé comme des éclairs ou les objets que nous avons perçus sans fixer sur eux notre attention. Si nous rêvons, la nuit, des évènements de la journée, ce sont les incidents insignifiants, et non pas les faits importants, qui auront le plus de chances de reparaître. Je me rallie entièrement aux vues de Delage, de W. Robert et de Freud sur ce point[1]. Je suis dans la rue ; j’attends le tramway ; il ne saurait me toucher puisque je me tiens sur le trottoir : si, au moment où il me frôle, l’idée d’un danger possible me traverse l’esprit, — que dis-je ?, si mon corps recule instinctivement sans que j’aie même conscience

  1. Il faudrait parler ici de ces tendances réprimées auxquelles l’école de Freud a consacré un si grand nombre d’études. À l’époque où fut faite la présente conférence, l’ouvrage de Freud sur les rêves avait paru, mais la « psycho-analyse » était très loin de son développement actuel.