Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/165

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par l’évocation d’une perception passée que la perception présente semble répéter. Or, la fausse reconnaissance n’est ni l’une ni l’autre de ces deux opérations. Ce qui caractérise la reconnaissance du premier genre, c’est qu’elle exclut tout rappel d’une situation déterminée, personnelle, où l’objet reconnu aurait été déjà perçu. Mon cabinet de travail, ma table, mes livres ne composent autour de moi une atmosphère de familiarité qu’à la condition de ne faire surgir le souvenir d’aucun événement déterminé de mon histoire. S’ils évoquent le souvenir précis d’un incident auquel ils ont été mêlés, je les reconnais encore comme y ayant pris part, mais cette reconnaissance se surajoute à la première et s’en distingue profondément, comme le personnel se distingue de l’impersonnel. Or, la fausse reconnaissance est autre chose que ce sentiment de familiarité. Elle porte toujours sur une situation personnelle, dont on est convaincu qu’elle reproduit une autre situation personnelle, aussi précise et aussi déterminée qu’elle. Resterait donc qu’elle fût la reconnaissance du second genre, celle qui implique le rappel d’une situation semblable à celle où l’on se trouve actuellement. Mais remarquons qu’il s’agit toujours, en pareil cas, de situations semblables et non pas de situations identiques. La reconnaissance du second genre ne se fait que par la représentation de ce qui différencie les deux situations en même temps que de ce qui leur est commun. Si j’assiste pour la seconde fois à une comédie, je reconnais un à un chacun des mots, chacune des scènes ; je reconnais enfin toute la pièce et je me rappelle l’avoir déjà vue ; mais j’étais alors à une autre place, j’avais d’autres voisins, j’arrivais avec d’autres préoccupations ; en tout cas je ne pouvais pas être alors ce