Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/31

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autant de toutes les autres sensations. Placée au confluent de la conscience et de la matière, la sensation condense dans la durée qui nous est propre, et qui caractérise notre conscience, des périodes immenses de ce qu’on pourrait appeler, par extension, la durée des choses. Ne devons-nous pas croire, alors, que si notre perception contracte ainsi les événements de la matière, c’est pour que notre action les domine ? Supposons par exemple que la nécessité inhérente à la matière ne puisse être forcée, à chacun de ses instants, que dans des limites extrêmement restreintes : comment procéderait une conscience qui voudrait néanmoins insérer dans le monde matériel une action libre, ne fût-ce que celle qu’il faut pour faire jouer un déclic ou pour orienter un mouvement ? Ne s’arrangerait-elle pas précisément de cette manière ? Ne devrions-nous pas nous attendre à trouver, entre sa durée et celle des choses, une telle différence de tension que d’innombrables instants du monde matériel pussent tenir dans un instant unique de la vie consciente, de sorte que l’action voulue, accomplie par la conscience en un de ses moments, pût se répartir sur un nombre énorme de moments de la matière et sommer ainsi en elle les indéterminations quasi infinitésimales que chacun d’eux comporte ? En d’autres termes, la tension de la durée d’un être conscient ne mesurerait-elle pas précisément sa puissance d’agir, la quantité d’activité libre et créatrice qu’il peut introduire dans le monde ? Je le crois, mais je n’insisterai pas là-dessus pour le moment. Tout ce que je veux dire est que cette nouvelle ligne de faits nous conduit au même point que la précédente. Que nous considérions l’acte décrété par la conscience, ou la perception qui le prépare,