Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/84

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l’historien et celle du juge d’instruction. L’hallucination véridique remonte-t-elle au passé ? vous étudiez les documents, vous les critiquez, vous écrivez une page d’histoire. Le fait est-il d’hier ? vous procédez à une espèce d’enquête judiciaire ; vous vous mettez en rapport avec les témoins, vous les confrontez entre eux, vous vous renseignez sur eux. Pour ma part, quand je repasse dans ma mémoire les résultats de l’admirable enquête poursuivie inlassablement par vous pendant plus de trente ans, quand je pense aux précautions que vous avez prises pour éviter l’erreur, quand je vois comment, dans la plupart des cas que vous avez retenus, le récit de l’hallucination avait été fait à une ou plusieurs personnes, souvent même noté par écrit, avant que l’hallucination eût été reconnue véridique, quand je tiens compte du nombre énorme des faits et surtout de leur ressemblance entre eux, de leur air de famille, de la concordance de tant de témoignages indépendants les uns des autres, tous analysés, contrôlés, soumis à la critique — je suis porté à croire à la télépathie de même que je crois, par exemple, à la défaite de l’Invincible Armada. Ce n’est pas la certitude mathématique que me donne la démonstration du théorème de Pythagore ; ce n’est pas la certitude physique que m’apporte la vérification de la loi de Galilée. C’est du moins toute la certitude qu’on obtient en matière historique ou judiciaire.

Mais voilà justement ce qui déconcerte un assez grand nombre d’esprits. Sans bien se rendre compte de cette raison de leur répugnance, ils trouvent étrange qu’on ait à traiter historiquement ou judiciairement des faits qui, s’ils sont réels, obéissent sûrement à des lois, et qui