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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

durée marque l’être vivant de son empreinte, plus évidemment l’organisme se distingue d’un mécanisme pur et simple, sur lequel la durée glisse sans le pénétrer. Et la démonstration prend sa plus grande force quand elle porte sur l’évolution intégrale de la vie depuis ses plus humbles origines jusqu’à ses formes actuelles les plus hautes, en tant que cette évolution constitue, par l’unité et la continuité de la matière animée qui la supporte, une seule indivisible histoire. Aussi ne comprenons-nous pas que l’hypothèse évolutioniste passe, en général, pour être apparentée à la conception mécanistique de la vie. De cette conception mécanistique nous ne prétendons pas, sans doute, apporter une réfutation mathématique et définitive. Mais la réfutation que nous tirons des considérations de durée et qui est, à notre avis, la seule réfutation possible, acquiert d’autant plus de rigueur et devient d’autant plus probante qu’on se place plus franchement dans l’hypothèse évolutioniste. Il faut que nous insistions sur ce point. Mais indiquons d’abord, en termes plus nets, la conception de la vie où nous nous acheminons.

Les explications mécanistiques, disions-nous, sont valables pour les systèmes que notre pensée détache artificiellement du tout. Mais du tout lui-même et des systèmes qui, dans ce tout, se constituent naturellement à son image, on ne peut admettre a priori qu’ils soient explicables mécaniquement, car alors le temps serait inutile, et même irréel. L’essence des explications mécaniques est en effet de considérer l’avenir et le passé comme calculables en fonction du présent, et de prétendre ainsi que tout est donné. Dans cette hypothèse, passé, présent et avenir seraient visibles d’un seul coup pour une intelligence surhumaine, capable d’effectuer le calcul. Aussi les savants qui ont cru à l’universalité