Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/20

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représentées à la conscience sans que se dessinent, à l’état d’esquisse ou de tendance, les mouvements par lesquels ces images se joueraient elles-mêmes dans l’espace, — je veux dire, imprimeraient au corps telles ou telles attitudes, dégageraient tout ce qu’elles contiennent implicitement de mouvement spatial. Eh bien, de cette pensée complexe qui se déroule, c’est là, à notre avis, ce que l’état cérébral indique à tout instant. Celui qui pourrait pénétrer à l’intérieur d’un cerveau, et apercevoir ce qui s’y fait, serait probablement renseigné sur ces mouvements esquissés ou préparés ; rien ne prouve qu’il serait renseigné sur autre chose. Fût-il doué d’une intelligence surhumaine, eût-il la clef de la psycho-physiologie, il ne serait éclairé sur ce qui se passe dans la conscience correspondante que tout juste autant que nous le serions sur une pièce de théâtre par les allées et venues des acteurs sur la scène.

C’est dire que la relation du mental au cérébral n’est pas une relation constante, pas plus qu’elle n’est une relation simple. Selon la nature de la pièce qui se joue, les mouvements des acteurs en disent plus ou moins long : presque tout, s’il s’agit d’une pantomime ; presque rien, si c’est une fine comédie. Ainsi notre état cérébral contient plus ou moins de notre état mental, selon que nous tendons à extérioriser notre vie psychologique en action ou à l’intérioriser en connaissance pure.