Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/201

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que les extrémités entre lesquelles il oscille ; elle fera coïncider l’idée générale tantôt avec l’action qui la joue ou le mot qui l’exprime, tantôt avec les images multiples, en nombre indéfini, qui en sont l’équivalent dans la mémoire. Mais la vérité est que l’idée générale nous échappe dès que nous prétendons la figer à l’une ou l’autre de ces deux extrémités. Elle consiste dans le double courant qui va de l’une à l’autre, — toujours prête, soit à se cristalliser en mots pronon­cés, soit à s’évaporer en souvenirs.

Cela revient à dire qu’entre les mécanismes sensori-moteurs figurés par le point S et la totalité des souvenirs disposés en AB il y a place, comme nous le faisions pressentir dans le chapitre précédent, pour mille et mille répétitions de notre vie psychologique, figurées par autant de sections A’B’, A’’B’’, etc., du même cône. Nous tendons à nous éparpiller en AB à mesure que nous nous détachons davantage de notre état sensoriel et moteur pour vivre de la vie du rêve ; nous tendons à nous concentrer en S à mesure que nous nous attachons plus fermement à la réalité présente, répondant par des réactions motrices à des excitations sensorielles. En fait, le moi normal ne se fixe jamais à l’une de ces positions extrêmes ; il se meut entre elles, adopte tour à tour les positions représentées par les sections intermédiaires, ou, en d’autres termes, donne à ses