Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a donc enfin des tons différents de vie mentale, et notre vie psychologique peut se jouer à des hauteurs différentes, tantôt plus près, tantôt plus loin de l’action, selon le degré de notre attention à la vie. Là est une des idées directrices du présent ouvrage, celle même qui a servi de point de départ à notre travail. Ce que l'on tient d’ordinaire pour une plus grande complication de l’état psychologique nous apparaît, de notre point de vue, comme une plus grande dilatation de notre personnalité tout entière qui, normalement resserrée par l’action, s’étend d’autant plus que se desserre davantage l’étau où elle se laisse comprimer et, toujours indivisée, s’étale sur une surface d’autant plus considérable. Ce qu’on tient d’ordinaire pour une perturbation de la vie psychologique elle-même, un désordre intérieur, une maladie de la personnalité, nous apparaît, de notre point de vue, comme un relâchement ou une perversion de la solidarité qui lie cette vie psychologique à son concomitant moteur, une altération ou une diminution de notre attention à la vie extérieure. Cette thèse, comme d’ailleurs celle qui consiste à nier la localisation des souvenirs de mots et à expliquer les aphasies tout autrement que par cette localisation, fut considérée comme paradoxale lors de la première publication de cet ouvrage (1896). Elle le paraîtra beaucoup moins aujourd’hui. La conception de l’aphasie qui était alors classique, universellement admise et tenue pour