Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

La mémoire a donc bien ses degrés successifs et distincts de tension ou de vitalité, malaisés à définir, sans doute, mais que le peintre de l’âme ne peut pas brouiller entre eux impunément. La pathologie vient d’ailleurs confirmer ici, — sur des exemples grossiers, il est vrai, — une vérité dont nous avons tous l’instinct. Dans les « amnésies systématisées » des hysté­riques, par exemple, les souvenirs qui paraissent abolis sont réellement présents ; mais ils se rattachent tous, sans doute, à un certain ton déterminé de vitalité intellectuelle, où le sujet ne peut plus se placer.

S’il y a ainsi des plans différents, en nombre indéfini, pour l’association par ressemblance, il en est de même de l’association par contiguïté. Dans le plan extrême qui représente la base de la mémoire, il n’y a pas de souvenir qui ne soit lié, par contiguïté, à la totalité des événements qui le précèdent et aussi de ceux qui le suivent. Tandis qu’au point où se concentre notre action dans l’espace, la contiguïté ne ramène, sous forme de mouvement, que la réaction immédiatement consécutive à une perception semblable antérieure. En fait, toute association par contiguïté implique une position de l’esprit intermédiaire entre ces deux limites extrêmes. Si l’on suppose, ici encore, une foule de répétitions possibles de la totalité de nos souvenirs, chacun de ces exemplaires de notre vie écoulée se découpera, à sa manière, en tranches déterminées, et le mode de division ne sera pas le même si l’on passe d’un exemplaire à un autre, parce que chacun d’eux est précisément caractérisé par la nature des souvenirs dominants auxquels les autres souvenirs s’adossent comme à des points d’appui. Plus on se rapproche de l’action, par exemple, plus la contiguïté tend à participer de la ressemblance