Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/227

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d’en faire une synthèse qui, n’ayant pas été donnée dans une intuition, aura nécessairement toujours une forme arbitraire. En d’autres termes, si la métaphysique n’est qu’une construc­tion, il y a plusieurs métaphysiques également vraisemblables, qui se réfutent par conséquent les unes les autres, et le dernier mot restera à une philosophie critique, qui tient toute connaissance pour relative et le fond des choses pour inaccessible à l’esprit. Telle est en effet la marche régulière de la pensée philosophique : nous partons de ce que nous croyons être l’expérience, nous essayons des divers arrangements possibles entre les fragments qui la compo­sent apparemment, et devant la fragilité reconnue de toutes nos constructions, nous finissons par renoncer à construire. — Mais il y aurait une dernière entreprise à tenter. Ce serait d’aller chercher l’expérience à sa source, ou plutôt au-dessus de ce tournant décisif où, s’infléchissant dans le sens de notre utilité, elle devient proprement l’expérience humaine. L’impuissance de la rai­son spéculative, telle que Kant l’a démontrée, n’est peut-être, au fond, que l’impuissance d’une intelligence asservie à certaines nécessités de la vie corporelle et s’exerçant sur une matière qu’il a fallu désorganiser pour la satis­faction de nos besoins. Notre connaissance des choses ne serait plus alors relative à la structure fondamentale de notre esprit, mais seulement à ses habi­tudes superficielles et acquises, à la forme contingente qu’il tient de nos fonctions corporelles et de nos besoins inférieurs. La relativité de la connais­sance ne serait donc pas définitive. En défaisant ce que ces besoins ont fait, nous rétablirions l’intuition dans sa pureté première et nous reprendrions contact avec le réel.

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