Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

uns aux autres, notre toucher doit suivre la superficie ou les arêtes des objets sans jamais rencontrer d’interruption véritable. Comment morcelons-nous la continuité primitivement aperçue de l’étendue matérielle en autant de corps, dont chacun aurait sa substance et son individualité ? Sans doute cette conti­nuité change d’aspect, d’un moment à l’autre : mais pourquoi ne constatons-nous pas purement et simplement que l’ensemble a changé, comme si l’on avait tourné un kaléidoscope ? Pourquoi cherchons-nous enfin, dans la mobi­lité de l’ensemble, des pistes suivies par des corps en mouvement ? Une conti­nuité mouvante nous est donnée, où tout change et demeure à la fois : d’où vient que nous dissocions ces deux termes, permanence et changement, pour représenter la permanence par des corps et le changement par des mouve­ments homogènes dans l’espace ? Ce n’est pas là une donnée de l’intuition immédiate ; mais ce n’est pas davantage une exigence de la science, car la science, au contraire, se propose de retrouver les articulations naturelles d’un univers que nous avons découpé artificiellement. Bien plus, en démontrant de mieux en mieux l’action réciproque de tous les points matériels les uns sur les autres, la science revient, en dépit des apparences, comme nous allons le voir, à l’idée de la continuité universelle. Science et conscience sont, au fond, d’accord, pourvu qu’on envisage la conscience dans ses données les plus immédiates et la science dans ses aspirations les plus lointaines. D’où vient alors l’irrésistible tendance à constituer un univers matériel discontinu, avec des corps aux arêtes bien découpées, qui changent de place, c’est-à-dire de rapport entre eux ?

À côté de la conscience et de la science, il y a la vie. Au-dessous