Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/269

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qui commence par n’être que mémoire, prolonge les uns dans les autres, pour les contracter dans une intuition unique, une pluralité de moments.

Conscience et matière, âme et corps entraient ainsi en contact dans la perception. Mais cette idée restait obscure par un certain côté, parce que notre perception, et par conséquent aussi notre conscience, semblaient alors partici­per de la divisibilité qu’on attribue à la matière. Si nous répugnons naturelle­ment, dans l’hypothèse dualiste, à accepter la coïncidence partielle de l’objet perçu et du sujet qui perçoit, c’est parce que nous avons conscience de l’unité indivisée de notre perception, au lieu que l’objet nous paraît être, par essence, indéfiniment divisible. De là l’hypothèse d’une conscience avec des sensations inextensives, placée en face d’une multiplicité étendue. Mais si la divisibilité de la matière est tout entière relative à notre action sur elle, c’est-à-dire à notre faculté d’en modifier l’aspect, si elle appartient, non à la matière même, mais à l’espace que nous tendons au-dessous de cette matière pour la faire tomber sous nos prises, alors la difficulté s’évanouit. La matière étendue, envisagée dans son ensemble, est comme une conscience où tout s’équilibre, se com­pense et se neutralise ; elle offre véritablement l’indivisibilité de notre perception ; de sorte qu’inversement nous pouvons, sans scrupule, attribuer à la perception quelque chose de l’étendue de la matière. Ces deux termes, percep­tion et matière, marchent ainsi l’un vers l’autre à mesure que nous nous dépouillons davantage de ce qu’on pourrait appeler les préjugés de l’action : la sensation reconquiert l’extension, l’étendue concrète reprend sa continuité et son indivisibilité naturelles. Et l’espace homogène, qui se dressait entre les