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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

des idées générales, c’est, dit-il, ce qui établit une distinction parfaite entre l’homme et les bêtes, et c’est une perfection à laquelle les facultés des bêtes n’atteignent jamais. Nous n’observons évidemment point de traces en eux de l’emploi de signes généraux pour marquer des idées universelles, et nous sommes par là fondés à imaginer qu’ils n’ont pas la faculté d’abstraire, ou de former des idées générales, puisqu’ils n’ont point l’usage des mots ou d’autres signes généraux. » Et un peu après : « Je crois donc que nous pouvons supposer que c’est en cela que les espèces des bêtes sont distinguées des hommes, et que telle est la propre différence qui les sépare, et finit par mettre entre les unes et les autres une si énorme distance ; car si les bêtes ont des idées et ne sont pas de pures machines (comme quelques-uns le prétendent) nous ne saurions nier qu’elles aient de la raison à un certain degré. Et pour moi, il me paraît aussi évident qu’il y en a quelques-unes qui raisonnent en certaines rencontres, qu’il me paraît quelles ont du sentiment ; mais c’est seulement sur des idées particulières qu’elles raisonnent, selon que leurs sens les leur présentent. Les plus parfaites d’entre elles sont renfermées dans ces étroites bornes, n’ayant, je crois, la faculté de les étendre par aucune sorte d’abstraction. » (Locke, Essai sur l’entendement humain, liv. II, chap. xi.) Je tombe volontiers d’accord avec le savant auteur, sur ce que les facultés des bêtes ne peuvent aucunement atteindre à l’abstraction. Mais si l’on fait de ce trait la propriété distinctive de cette sorte d’animaux, j’ai peur que parmi eux il ne faille compter un bien grand nombre de ceux qui passent pour des hommes. La raison ainsi alléguée pour prouver qu’il n’y a nul fondement à croire que les bêtes ont des idées abstraites, c’est que nous n’observons pas qu’elles se servent des mots ni d’aucuns signes généraux ; elle repose sur la supposition que l’usage des mots implique qu’on a des idées générales ; et il suit de là que les hommes, qui usent du langage, sont capables d’abstraire ou généraliser leurs idées. Que ce soit là le sens et l’argument de l’auteur, on peut s’en assurer par la réponse qu’il fait à une question qu’il se pose à un autre endroit : « Puisque toutes les choses qui existent ne sont que particulières, comment arrivons-nous aux termes généraux ? » La réponse est celle-ci : « Les mots deviennent généraux quand