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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

à qui la vue est rendue de nier la lumière et les couleurs ? Je réponds tout d’abord que, si ce que nous entendons par le mot Matière n’est qu’un support inconnu de qualités inconnues, il importe peu qu’une telle chose existe ou non, puisqu’elle ne nous intéresse en rien ; et je ne vois aucun avantage à disputer sur nous ne savons quoi, qui existerait nous ne savons pourquoi.

78. Mais, en second lieu, si nous avions un nouveau sens, il ne pourrait que nous fournir de nouvelles idées ou sensations, et dans ce cas nous aurions les mêmes raisons à faire valoir, contre leur existence en une substance non percevante, que celles qui ont été déjà présentées relativement à la figure, au mouvement, à la couleur et autres pareilles. Des qualités, on l’a montré, ne sont rien de plus que des sensations ou idées qui existent uniquement dans un esprit qui les perçoit ; et cette vérité s’applique, non seulement aux idées qui nous sont actuellement familières, mais encore à toutes les idées possibles, quelles qu’elles puissent être.

79. Mais on insistera : Eh bien ! dira-t-on, n’eussé-je aucune raison de croire à l’existence de la Matière, me fût-il impossible d’assigner son emploi, ou d’expliquer par elle aucune chose, ou même de comprendre ce que veut dire ce mot, il reste toujours qu’il n’y a nulle contradiction à dire que la Matière existe, et que cette Matière est en général une substance, ou une occasion des idées. Il n’importe après cela qu’on puisse trouver de grandes difficultés, quand on se propose d’éclaircir le sens de ces termes ou d’en embrasser une explication particulière. — Je réponds qu’en se servant de mots sans leur donner un sens, on peut les agencer à volonté les uns avec les autres sans courir le danger de tomber dans la contradiction. On peut dire, par exemple, que deux fois deux égalent sept, pourvu qu’on déclare en même temps qu’on ne prend pas les mots de cette proposition dans leur acception usuelle, mais seulement pour les signes d’on ne sait quoi. Pour la même raison, on peut dire qu’il existe une substance sans accidents, inerte, dénuée de pensée, laquelle est l’occasion de nos idées. On en saura tout juste autant par l’une de ces propositions que par l’autre.

80. En dernier lieu, on dira : Eh bien ! abandonnons la cause de la Substance matérielle, et tenons-nous-en à la Ma-