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BERKELEY

tière considérée comme Quelque chose d’inconnu, ni substance ni accident, ni esprit ni idée, inerte, dénué de pensée, indivisible, inétendu, qui n’est en aucun lieu. Car enfin, tout ce qui a pu être invoqué contre la substance, ou contre l’occasion, ou contre toute notion positive ou relative de la Matière, cesse de s’appliquer, du moment qu’on adopte cette définition négative. Je réponds : vous pouvez, si vous le trouvez bon, employer le mot « matière » dans le même sens que les autres emploient le mot « rien » et rendre ainsi les termes convertibles pour votre façon de parler. Car, après tout, c’est bien là ce qui me semble résulter de cette définition. Quand j’en examine attentivement les parties, ensemble ou séparément, je ne puis constater qu’il se produise une impression, un effet quelconque pour mon esprit, autre que celui qu’excite le mot rien.

81. On répliquera peut-être que la définition en question renferme un élément qui suffit à distinguer un objet de rien : à savoir l’idée abstraite positive de quiddité, entité ou existence. Je sais bien que ceux qui s’attribuent la faculté de composer des idées générales abstraites parlent comme s’ils avaient effectivement une telle idée, la plus générale et la plus abstraite de toutes, à ce qu’ils disent, et c’est-à-dire, suivant moi, la plus parfaitement incompréhensible qu’il y ait. Qu’il existe une grande variété d’esprits (of spirits) de différents ordres et de différentes capacités, dont les facultés excèdent de beaucoup en nombre et en étendue celles que l’Auteur de mon être m’a départies, je ne vois aucune raison de le nier. Et, certes, prétendre déterminer, à l’aide de ce petit nombre que j’ai de canaux de perception, étroits et limités, quelles idées l’inépuisable puissance de l’Esprit suprême peut imprimer dans ces esprits, ce serait de ma part le comble de la présomption et de la folie. Il peut exister, autant que j’en peux juger, d’innombrables sortes d’idées ou de sensations, aussi différentes les unes des autres et de tout ce qu’il m’a été donné de percevoir que les couleurs sont différentes des sons. Mais, si disposé que je puisse être à convenir de la faiblesse et de l’exiguïté de ma compréhension, au regard de la variété sans fin des esprits (of spirits) et des idées qui existent peut-être, je n’en soupçonne pas moins quiconque prétend posséder la notion d’Entité, ou