Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/38

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compositions impressionnent plus vivement le public, mais, il faut le reconnaître cependant, la Symphonie héroïque est tellement forte de pensée et d’exécution, le style en est si nerveux, si constamment élevé, et la forme si poétique, que son rang est égal à celui des plus hautes conceptions de son auteur. Un sentiment de tristesse grave et pour ainsi dire antique me domine toujours pendant l’exécution de cette symphonie ; mais le public en paraît médiocrement touché. Certes, il faut déplorer la misère de l’artiste qui, brûlant d’un tel enthousiasme, n’a pu se faire assez bien comprendre même d’un auditoire d’élite, pour l’élever jusqu’à la hauteur de son inspiration. C’est d’autant plus triste que ce même auditoire, en d’autres circonstances, s’échauffe, palpite et pleure avec lui ; il se prend d’une passion réelle et très-vive pour quelques-unes de ses compositions également admirables, il est vrai, mais non plus belles que celle-ci cependant ; il apprécie à leur juste valeur l’allegretto en la mineur de la septième symphonie, l’allegretto scherzando de la huitième, le finale de la cinquième, le scherzo de la neuvième ; il paraît même fort ému de la marche funèbre de la symphonie dont il est ici question (l’héroïque) ; mais quant au premier morceau, il est impossible de se faire illusion, j’en ai fait la remarque depuis plus de vingt ans, le public l’écoute presque de sang-froid ; il y voit une composition savante et d’une assez grande énergie ; au delà…, rien. Il n’y a pas de philosophie qui tienne ; on a beau se dire qu’il en fut toujours ainsi en tous lieux et pour toutes les œuvres élevées de l’esprit, que les causes de l’émotion poétique sont secrètes et inappréciables, que le sentiment de certaines beautés dont quelques individus sont doués, manque absolument chez les masses, qu’il est même impossible qu’il en soit autrement… Tout cela ne console pas, tout cela ne calme pas l’indignation instinctive, involontaire, absurde, si l’on veut, dont le cœur se remplit, à l’aspect d’une merveille méconnue, d’une si noble composition, que la foule regarde sans voir, écoute sans en-