Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/42

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enharmonique, sur l’accord de sixte et quarte de si bémol. Les timbales rentrant alors sur le même son, qui, au lieu d’être une note sensible comme la première fois, est une tonique véritable, continuent le trémolo pendant une vingtaine de mesures. La force de tonalité de ce si bémol, très-peu perceptible en commençant, devient de plus en plus grande au fur et à mesure que le trémolo se prolonge ; puis les autres instruments, semant de petits traits inachevés leur marche progressive, aboutissent avec le grondement continu de la timbale à un forte général où l’accord parfait de si bémol s’établit enfin à plein orchestre dans toute sa majesté. Cet étonnant crescendo est une des choses les mieux inventées que nous connaissions en musique ; on ne lui trouverait guère de pendant que dans celui qui termine le célèbre scherzo de la symphonie en ut mineur. Encore ce dernier, malgré son immense effet, est-il conçu sur une échelle moins vaste, partant du piano pour arriver à l’explosion finale, sans sortir du ton principal ; tandis que celui dont nous venons de décrire la marche, part du mezzo-forte, va se perdre un instant dans un pianissimo sous des harmonies dont la couleur est constamment vague et indécise, puis reparaît avec des accords d’une tonalité plus arrêtée, et n’éclate qu’au moment où le nuage qui voilait cette modulation, est complétement dissipé. On dirait d’un fleuve dont les eaux paisibles disparaissent tout à coup, et ne sortent de leur lit souterrain que pour retomber avec fracas en cascade écumante.

Pour l’adagio, il échappe à l’analyse… C’est tellement pur de formes, l’expression de la mélodie est si angélique et d’une si irrésistible tendresse, que l’art prodigieux de la mise en œuvre disparaît complétement. On est saisi, dès les premières mesures, d’une émotion qui, à la fin devient accablante par son intensité ; et ce n’est que chez l’un des géants de la poésie, que nous pouvons trouver un point de comparaison à cette page sublime du géant de la musique. Rien, en effet, ne ressemble