Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/53

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à quelque soirée avec cavatines à la mode et concerto de flûte, on aura l’air stupide ; quelqu’un vous demandera :

— Comment trouvez-vous ce duo italien ?

On répondra d’un air grave :

— Fort beau.

— Et ces variations de clarinette ?

— Superbes.

— Et ce finale du nouvel opéra ?

— Admirable.

Et quelque artiste distingué qui aura entendu vos réponses sans connaître la cause de votre préoccupation dira en vous montrant : « Quel est donc cet imbécile ? »


Comme les poëmes antiques, si beaux, si admirés qu’ils soient, pâlissent à côté de cette merveille de la musique moderne ! Théocrite et Virgile furent de grands chanteurs paysagistes ; c’est une suave musique que de tels vers :

« Tu quoque, magna Pales, et te, memorande, canemus
Pastor ab amphryso ; vos Sylvæ amnes que Lycæi.»


surtout s’ils ne sont pas récités par des barbares tels que nous autres Français, qui prononçons le latin de façon à le faire prendre pour de l’auvergnat…

Mais le poëme de Beethoven !… ces longues périodes si colorées !… ces images parlantes !… ces parfums !… cette lumière !… ce silence éloquent !… ces vastes horizons !… ces retraites enchantées dans les bois !… ces moissons d’or !… ces nuées roses, taches errantes du ciel !… cette plaine immense sommeillant sous les rayons de midi !… L’homme est absent !… la nature seule se dévoile et s’admire… Et ce repos profond de tout ce qui vit ! Et cette vie délicieuse de tout ce qui repose !… Le ruisseau enfant qui court en gazouillant vers le fleuve !… le fleuve père des eaux, qui, dans un majestueux silence, descend vers la grande mer !… Puis l’homme intervient, l’homme des