Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/103

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» — Je vous dis que...

» — Allons donc !

» — Enfin, ils criaient tous à la fois, et comme ça les ennuyait, voilà M. Regnault et deux autres peintres qui s’en vont, en disant qu’ils se récusaient et qu’ils ne voteraient pas. Puis on a compté les bulletins qui étaient dans la hurne, et il vous a manqué deux voix. Voilà pourquoi vous n’avez que le second prix.

» — Je vous remercie, mon bon Pingard ; mais, dites-moi, cela se passait-il de la même manière à l’académie du Cap de Bonne-Espérance ?

» — Oh ! par exemple ! quelle farce ! Une académie au Cap ! un Institut hottentot ! Vous savez bien qu’il n’y en a pas.

» — Vraiment ! et chez les Indiens de Coromandel ?

» — Point.

» — Et chez les Malais ?

» — Pas davantage.

» — Ah ça ! mais il n’y a donc point d’académie dans l’Orient ?

» — Certainement non.

» — Les Orientaux sont bien à plaindre.

» — Ah ! oui, ils s’en moquent pas mal !

» — Les barbares !»

Là-dessus je quittai le vieux concierge, gardien-huissier de l’Institut, en songeant à l’immense avantage qu’il y aurait à envoyer l’Académie civiliser l’île de Bornéo. Je ruminais déjà le plan d’un projet que je voulais adresser aux académiciens eux-mêmes, pour les engager à s’aller promener un peu au Cap de Bonne-Espérance, comme Pingard. Mais nous sommes si égoïstes nous autres Occidentaux, notre amour de l’humanité est si faible, que ces pauvres Hottentots, ces malheureux Malais qui n’ont pas d’académie, ne m’ont pas occupé sérieusement plus de deux ou trois heures ; le lendemain je n’y songeais plus. Deux ans après, ainsi qu’on le verra, j’obtins enfin le premier grand prix. Dans l’intervalle, l’honnête Pingard était mort, et ce fut grand dommage ; car s’il eût entendu mon Incendie du palais de Sardanapale, il eût été capable cette fois de me payer une tasse entière.