Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/164

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sentis un mouvement de fierté, puis, songeant au rôle magnifique que devait y jouer l’art que je chéris, mon cœur commença à battre à coups redoublés. Oh ! oui, sans doute, me dis-je aussitôt, ces tableaux, ces statues, ces colonnes, cette architecture de géants, tout cela n’est que le corps du monument ; la musique en est l’âme ; c’est par elle qu’il manifeste son existence, c’est elle qui résume l’hymne incessant des autres arts, et de sa voix puissante le porte brûlant aux pieds de l’Éternel. Où donc est l’orgue ?... L’orgue, un peu plus grand que celui de l’Opéra de Paris, était sur des roulettes ; un pilastre le dérobait à ma vue. N’importe, ce chétif instrument ne sert peut-être qu’à donner le ton aux voix, et tout effet instrumental étant proscrit, il doit suffire. Quel est le nombre des chanteurs ?... Me rappelant alors la petite salle du Conservatoire, que l’église de Saint-Pierre contiendrait cinquante ou soixante fois au moins, je pensai que si un chœur de quatre-vingt-dix voix y était employé journellement, les choristes de Saint-Pierre ne devaient se compter que par milliers.

Ils sont au nombre de dix-huit pour les jours ordinaires, et de trente-deux pour les fêtes solennelles. J’ai même entendu un Miserere à la chapelle Sixtine, chanté par cinq voix. Un critique allemand de beaucoup de mérite s’est constitué tout récemment le défenseur de la chapelle Sixtine.

«La plupart des voyageurs, dit-il, en y entrant, s’attendent à une musique bien plus entraînante, je dirai même bien plus amusante que celle des opéras qui les avaient charmés dans leur patrie ; au lieu de cela, les chanteurs du Pape leur font entendre un plain-chant séculaire, simple, pieux, et sans le moindre accompagnement. Ces dilettanti désappointés, ne manquent pas alors de jurer à leur retour que la chapelle Sixtine n’offre aucun intérêt musical, et que tous les beaux récits qu’on en fait sont autant de contes.»

Nous ne dirons pas à ce sujet absolument comme les observateurs superficiels dont parle cet écrivain. Bien au contraire, cette harmonie des siècles passés, venue jusqu’à nous sans la moindre altération de style ni de forme, offre aux musiciens le même intérêt que présentent aux peintres les fresques de Pompéi. Loin de regretter, sous ces accords, l’accompagnement de trompettes et de grosse caisse, aujourd’hui tellement mis à la mode par les compositeurs italiens, que chanteurs et danseurs ne croiraient pas, sans lui, pouvoir obtenir les applaudissements qu’ils méritent, nous avouerons que la chapelle Sixtine étant le seul lieu musical de l’Italie où cet abus déplorable n’ait point pénétré, on est heureux de pouvoir y trouver un refuge contre l’artillerie des fabricants de cavatines. Nous accorderons au critique allemand que les trente-deux chanteurs du Pape, incapables de produire le moindre effet et même de se faire entendre dans la plus vaste église du monde, suffisent à l’exécution des œuvres de Palestrina dans l’enceinte bornée de la chapelle pontificale ; nous dirons avec lui que cette harmonie pure et calme jette dans une rêverie qui n’est pas sans