Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/194

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d’une raillerie et donnent à l’opéra séria toutes les allures de la parodie et de la charge.

Si je voulais citer, les exemples fameux ne me manqueraient pas ; mais, pour ne raisonner qu’en thèse générale et abstraction faite des hautes questions d’art, n’est-ce pas d’Italie que sont venues les formes conventionnelles et invariables, adoptées depuis par quelques compositeurs que Cherubini et Spontini, seuls entre tous leurs compatriotes, ont repoussées, et dont l’école allemande est restée pure ? Pouvait-il entrer dans les habitudes d’êtres bien organisés et sensibles à l’expression musicale d’entendre, dans un morceau d’ensemble, quatre personnages, animés de passions entièrement opposées, chanter successivement tous les quatre la même phrase mélodique, avec des paroles différentes, et employer le même chant pour dire : «Ô toi que j’adore... — Quelle terreur me glace... — Mon cœur bat de plaisir... — La fureur me transporte.» Supposer, comme le font certaines gens, que la musique est une langue assez vague pour que les inflexions de la fureur puissent convenir également à la crainte, à la joie et à l’amour, c’est prouver seulement qu’on est dépourvu du sens qui rend perceptibles à d’autres différents caractères de musique expressive, dont la réalité est pour ces derniers aussi incontestable que l’existence du soleil. Mais cette discussion, déjà mille fois soulevée, m’entraînerait trop loin. Pour en finir, je dirai seulement qu’après avoir étudié longuement, sans la moindre prévention, le sentiment musical de la nation italienne, je regarde la route suivie par ses compositeurs, comme une conséquence forcée des instincts du public, instincts qui existent aussi, d’une façon plus ou moins évidente, chez les compositeurs ; qui se manifestaient déjà à l’époque de Pergolèse, et qui, dans son trop fameux Stabat, lui firent écrire une sorte d’air de bravoure sur le verset :

Et mœrebat,
Et tremebat,
Cum videbat,
Nati pœnas inclyti ;

instincts dont se plaignaient le savant Martini, Beccaria, Calzabigi et beaucoup d’autres esprits élevés ; instincts, dont Gluck, avec son génie herculéen et malgré le succès colossal d’Orfeo, n’a pu triompher ; instincts qu’entretiennent les chanteurs, et que certains compositeurs ont développés à leur tour dans le public, instincts, enfin, qu’on ne détruira pas plus, chez les Italiens, que, chez les Français, la passion innée du vaudeville. Quant au sentiment harmonique des ultramontains, dont on parle beaucoup, je puis assurer que les récits qu’on en a faits sont au moins exagérés. J’ai entendu, il est vrai, à Tivoli et à Subiaco, des gens du peuple chantant assez purement à deux voix ; dans le midi de la France, qui n’a aucune réputation en ce genre, la chose est fort commune. À