Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/222

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rendant ainsi publiquement et chaleureusement justice, vous en exècre davantage, et l’homme qui vous aime, toujours peu satisfait des pénibles éloges que vous lui accordez, vous en aime moins.

N’oublions pas le mal que vous font au cœur, quand on a comme moi le malheur d’être artiste et critique à la fois, l’obligation de s’occuper d’une façon quelconque de mille niaiseries lilliputiennes, et surtout les flagorneries, les lâchetés, les rampements des gens qui ont ou auront besoin de vous. Je m’amuse souvent à suivre le travail souterrain de certains individus creusant un tunnel de vingt lieues de long pour arriver à ce qu’ils appellent un bon feuilleton, sur un ouvrage qu’ils ont l’intention de faire. Rien n’est risible comme leurs laborieux coups de pioche, si ce n’est la patience avec laquelle ils déblayent la galerie et construisent la voûte ; jusqu’au moment où le critique, impatienté de ce travail de taupe, ouvre tout à coup une voie d’eau qui noie la mine et quelquefois le mineur.

Aussi n’attaché-je guère de prix, lorsqu’il s’agit de l’appréciation de mes œuvres, qu’à l’opinion des gens placés en dehors de l’influence du feuilleton. Parmi les musiciens, les seuls dont le suffrage me flatte sont les exécutants de l’orchestre et du chœur, parce que le talent individuel de ceux-là étant rarement appelé à subir l’examen du critique, je sais qu’ils n’ont aucune raison pour lui faire la cour. Au reste les éloges qui me sont ainsi extraits de temps en temps doivent peu flatter ceux qui les reçoivent. La violence que je me fais pour louer certains ouvrages, est telle, que la vérité suinte à travers mes lignes, comme dans les efforts extraordinaires de la presse hydraulique, l’eau suinte à travers le fer de l’instrument.

De Balzac, en vingt endroits de son admirable Comédie humaine, a dit de bien excellentes choses sur la critique contemporaine : mais en relevant les erreurs et les torts de ceux qui l’exercent, il n’a pas assez fait ressortir, ce me semble, le mérite de ceux qui restent honorables, ni apprécier leurs secrètes douleurs. Dans son livre même intitulé : La Monographie de la Presse, malgré la collaboration de son ami Laurent-Jan (qui est aussi le mien et dont l’esprit est l’un des plus pénétrants que je connaisse) de Balzac n’a pas éclairé toutes les facettes de la question. Laurent-Jan a écrit dans plusieurs journaux, mais sans suite, en fantaisiste plutôt qu’en critique, et pas plus que de Balzac, il n’a pu tout savoir, ni tout voir.

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Un jour M. Armand Bertin, qui se préoccupait de la gêne dans laquelle je vivais, m’aborda avec ces mots qui me causèrent une joie d’autant plus grande qu’elle était plus inattendue :

«Mon cher ami, votre position est faite maintenant. J’ai parlé de vous au ministre de l’intérieur et il a décidé qu’on vous donnerait, en dépit de l’opposition de Cherubini,