Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/236

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voici la contre-partie de l’histoire du Requiem ! N’allons pas plus loin ; je connais mon monde.» Et je m’arrêtai court. Mais peu de jours après, en flânant dans Paris, je me trouvai sur le passage du ministre de l’intérieur. M. de Rémusat m’apercevant fit arrêter sa voiture et, sur un signe qu’il m’adressa, je m’approchai. Il voulait savoir où j’en étais de la symphonie. Je lui dis tout crûment le motif qui m’avait fait suspendre mon travail, en ajoutant que je me souvenais des tourments que m’avait causés la cérémonie du maréchal Damrémont et le Requiem.

« — Mais le bruit qui vous a alarmé est complètement faux, me dit-il, rien n’est changé ; l’inauguration de la colonne de la Bastille, la translation des morts de juillet, tout aura lieu, et je compte sur vous. Achevez votre ouvrage au plus vite.»

Malgré ma méfiance trop bien motivée, cette assertion de M. de Rémusat dissipa mes inquiétudes, et je me remis à l’œuvre sur-le-champ. La marche et l’oraison funèbre terminées, le thème de l’apothéose trouvé, je fus arrêté assez longtemps par la fanfare que je voulais faire s’élever peu à peu des profondeurs de l’orchestre jusqu’à la note aiguë par laquelle éclate le chant de l’apothéose. J’en écrivis je ne sais combien qui toutes me déplurent ; c’était ou vulgaire, ou trop étroit de forme, ou trop peu solennel, ou trop peu sonore, ou mal gradué. Je rêvais une sonnerie archangélique, simple mais noble, empanachée, armée, se levant radieuse, triomphante, retentissante, immense, annonçant à la terre et au ciel l’ouverture des portes de l’Empyrée. Je m’arrêtai enfin, non sans crainte, à celle que l’on connaît ; et le reste fut bientôt écrit. Plus tard, et après mes corrections et remaniements ordinaires, j’ajoutai à cette symphonie un orchestre d’instruments à cordes et un chœur qui, sans être obligés, en augmentent néanmoins énormément l’effet.

J’engageai pour la cérémonie une bande militaire de deux cents hommes, qu’Habeneck cette fois encore aurait bien voulu conduire, mais dont je me réservai prudemment la direction. Je n’avais pas oublié le tour de la tabatière.

J’eus fort heureusement l’idée d’inviter un nombreux auditoire à la répétition générale de la symphonie, car le jour de la cérémonie on n’eût pu la juger. Malgré la puissance d’un pareil orchestre d’instruments à vent, pendant la marche du cortège on nous entendait peu et mal. À l’exception de ce qui fut exécuté quand nous longeâmes le boulevard Poissonnière dont les grands arbres, encore existants alors, servaient de réflecteurs au son, tout le reste fut perdu.

Sur la vaste place de la Bastille ce fut pis encore ; à dix pas on ne distinguait presque rien.

Pour m’achever, les légions de la garde nationale, impatientées de rester à la fin de la cérémonie l’arme au bras, sous un soleil brûlant, commencèrent leur