Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/244

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vint presque aussitôt agiter plus vivement la salle. Des cris : «À l’assassin ! c’est infâme ! arrêtez-le !» partis de la première galerie, firent toute l’assistance se lever en tumulte. Madame de Girardin échevelée s’agitait dans sa loge appelant au secours. Son mari venait d’être souffleté à ses côtés par Bergeron, l’un des rédacteurs du Charivari, qui passe pour le premier assassin de Louis-Philippe, celui que l’opinion publique accusait alors d’avoir, quelques années auparavant, tiré sur le roi le coup de pistolet du pont Royal.

Cet esclandre ne pouvait que nuire beaucoup au reste du concert, qui se termina sans encombre cependant, mais au milieu d’une préoccupation générale.

Quoi qu’il en soit j’avais résolu le problème, et tenu en échec l’état-major de mes ennemis. La recette s’éleva à huit mille cinq cents francs. La somme abandonnée par moi pour payer les musiciens de l’Opéra n’y suffisant pas, à cause de ma promesse de leur donner à tous vingt francs, je dus apporter au caissier du théâtre trois cent soixante francs qu’il accepta, et dont il indiqua la source sur son livre, en écrivant à l’encre rouge ces mots : Excédant donné par M. Berlioz.

Ainsi je parvins à organiser le plus vaste concert qu’on eût encore donné à Paris, seul, malgré Habeneck et ses gens, en renonçant à la modique somme qui m’avait été allouée. On fit huit mille cinq cents francs de recette et ma peine coûta trois cent soixante francs.

Voilà comme on s’enrichit ! J’ai souvent dans ma vie employé ce procédé. Aussi, j’ai fait fortune..... Comment M. Pillet, qui est un gentleman, souffrit-il cela ? Je n’ai jamais pu m’en rendre compte. Peut-être le caissier ne l’a-t-il pas informé du fait.

Peu de jours après, je partis pour l’Allemagne. Par les lettres que j’adressai, à mon retour, à plusieurs de mes amis (et même à deux individus[1] qui ne méritent pas ce titre), on va connaître mes aventures dans ce premier voyage et les observations que j’y ai faites. Ce fut une exploration laborieuse, il est vrai, mais musicale au moins, assez avantageuse sous le rapport pécuniaire et j’y jouis du bonheur de vivre dans un milieu sympathique, à l’abri des intrigues, des lâchetés et des platitudes de Paris.

Voici ces lettres à peu près telles qu’elles furent alors publiées sous le titre de Voyage musical en Allemagne.

fin du premier volume

  1. Habeneck et Girard.