Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

trombone-ténor un son magnifique ; je pourrais même dire des sons, puisqu’il sait, au moyen d’un procédé non encore expliqué, produire trois et quatre notes à la fois, comme ce jeune corniste[1] dont toute la presse musicale s’est récemment occupée à Paris. Schrade, dans un point d’orgue d’une fantaisie qu’il a exécutée en public à Stuttgard, a fait entendre simultanément, et à la surprise générale, les quatre notes de l’accord de septième dominante du ton de si bemol, image pas disponible mi bemol image pas disponible ansi posées : la c’est aux acousticiens qu’il appartient ut fa

de donner la raison de ce nouveau phénomène de la résonnance des tubes sonores ; à nous autres musiciens de le bien étudier et d’en tirer parti si l’occasion s’en présente.

Un autre mérite de l’orchestre de Stuttgard, c’est qu’il est composé de lecteurs intrépides, que rien ne trouble, que rien ne déconcerte, qui lisent à la fois la note et la nuance, qui à la première vue ne laissent échapper ni un P ni un F, ni un mezzo-forte, ni un smorzando, sans l’indiquer. Ils sont en outre rompus à tous les caprices du rhythme et de la mesure, ne se cramponnent pas toujours aux temps forts, et savent sans hésiter accentuer les temps faibles et passer d’une syncope à une autre sans embarras et sans avoir l’air d’exécuter un pénible tour de force. En un mot, leur éducation musicale est complète sous tous les rapports. J’ai pu reconnaître en eux ces précieuses qualités dès la première répétition de mon concert. J’avais choisi pour celui-là la Symphonie fantastique et l’ouverture des Francs-Juges. Vous savez combien ces deux ouvrages contiennent de difficultés rhythmiques, de phrases syncopées, de syncopes croisées, de groupes de quatre notes superposées à des groupes de trois, etc., etc. ; toutes choses qu’aujourd’hui, au Conservatoire, nous jetons vigoureusement à la tête du public, mais qu’il nous a fallu travailler pourtant, et beaucoup et longtemps. J’avais donc lieu de craindre une foule d’erreurs à différents passages de l’ouverture et du finale de la symphonie ; je n’en ai pas eu à relever une seule, tout a été vu et lu et vaincu du premier coup. Mon étonnement était extrême. Le vôtre ne sera pas moindre, si je vous dis que nous avons monté cette damnée symphonie et le reste du programme en deux répétitions. L’effet eût même été très-satisfaisant si les maladies vraies ou simulées ne m’eussent enlevé la moitié des violons le jour du concert. Me voyez-vous, avec quatre premiers violons et quatre seconds, pour lutter avec tous ces instruments à vent et à percussion ? Car l’épidémie avait épargné le reste de l’orchestre, et il ne manquait rien, rien que la moitié des violons ! Oh ! en pareil cas, je ferais comme Max dans le Freyschütz, et pour obtenir des violons, je signerais un pacte avec tous les diables de l’enfer. C’était d’autant plus navrant et irritant, que, malgré les pré

  1. Vivier, le spirituel mystificateur ; artiste excentrique, mais artiste d’un mérite réel et doué de qualités musicales fort rares.