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À LISZT


troisième lettre
Manheim. — Weimar.


À mon retour d’Hechingen, je restai quelques jours encore à Stuttgard, en proie à de nouvelles perplexités. À toutes les questions qu’on m’adressait sur mes projets et sur la future direction de mon voyage à peine commencé, j’aurais pu répondre, sans mentir, comme ce personnage de Molière :

Non, je ne reviens point, car je n’ai point été ;
Je ne vais point non plus, car je suis arrêté,
Et ne demeure point, car tout de ce pas même
Je prétends m’en aller...

M’en aller... où ? Je ne savais trop. J’avais écrit à Weimar, il est vrai, mais la réponse n’arrivait pas, et je devais absolument l’attendre avant de prendre une détermination.

Tu ne connais pas ces incertitudes, mon cher Liszt ; il t’importe peu de savoir si, dans la ville où tu comptes passer, la chapelle est bien composée, si le théâtre est ouvert, si l’intendant veut le mettre à ta disposition, etc. En effet, à quoi bon pour toi tant d’informations ! Tu peux, modifiant le mot de Louis XIV, dire avec confiance :

«L’orchestre, c’est moi ! le chœur, c’est moi ! le chef, c’est encore moi. Mon piano chante, rêve, éclate, retentit ; il défie au vol les archets les plus habiles ; il a, comme l’orchestre, ses harmonies cuivrées ; comme lui, et sans le moindre appareil, il peut livrer à la brise du soir son nuage de féeriques accords, de vagues mélodies ; je n’ai besoin ni de théâtre, ni de décor fermé, ni de vastes gradins ; je n’ai point à me fatiguer par de longues répétitions ; je ne demande ni cent, ni cinquante, ni vingt musiciens ; je n’en demande pas du tout,