Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/285

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lentement progressive ne manquait ni de prudence ni d’un certain intérêt. En tout cas, je n’ai pas à me repentir de l’avoir suivie.

Maintenant parlons de Dresde.

J’y étais engagé pour deux concerts, et j’allais trouver là chœur, orchestre, musique d’harmonie, et de plus un célèbre ténor : depuis mon entrée en Allemagne, je n’avais point encore vu réunies des richesses pareilles. Je devais en outre rencontrer à Dresde un ami chaud, dévoué, énergique, enthousiaste, Charles Lipinski, que j’avais autrefois connu à Paris. Il m’est impossible de vous dire, mon cher Ernst, quelle ardeur cet excellent homme mit à me seconder. Sa position de premier maître de concert, et l’estime générale dont jouissent en outre sa personne et son talent, lui donnent une grande autorité sur les artistes de la chapelle ; et certes il ne se fit pas faute d’en user. Comme j’avais une promesse de l’intendant M. le baron de Lütichau, pour deux soirées, le théâtre tout entier était à ma disposition, et il ne s’agissait plus que de veiller à l’excellence de l’exécution. Celle que nous obtînmes fut splendide, et pourtant le programme était formidable ; il contenait : l’ouverture du Roi Lear, la Symphonie fantastique, l’Offertoire, le Sanctus et le Quærens me de mon Requiem, les deux dernières parties de ma Symphonie funèbre, écrite, vous le savez, pour deux orchestres et chœur, et quelques morceaux de chant. Je n’avais pas de traduction du chœur de la symphonie, mais le régisseur du théâtre, M. Winkler, homme à la fois spirituel et savant, eut l’extrême obligeance d’improviser, pour ainsi dire, les vers allemands dont nous avions besoin, et les études du finale purent commencer. Quant aux solos de chant, ils étaient en langues latine, allemande et française. Tichatchek, le ténor dont je parlais tout à l’heure, possède une voix pure et touchante, qui, échauffée par l’action dramatique, devient en scène d’une rare énergie. Son style de chant est simple et de bon goût, il est musicien et lecteur consommé. Il se chargea, de prime-abord, du solo de ténor dans le Sanctus, sans même demander à le voir, sans réticences, sans grimaces, sans faire le dieu ; il aurait pu, comme tant d’autres en pareil cas, accepter le Sanctus en m’imposant, pour son succès particulier, quelque cavatine à lui connue ; il ne le fit pas ; à la bonne heure, voilà qui est tout à fait bien !

Mais la cavatine de Benvenuto qu’il me prit fantaisie d’ajouter au programme, me donna plus de peine à elle seule que tout le reste du concert. On n’avait pu la proposer à la prima-donna, madame Devrient, le tissu mélodique du morceau étant trop haut, et les vocalises trop légères pour elle ; mademoiselle Wiest, la seconde chanteuse, à qui Lipinski l’avait offerte, trouvait la traduction allemande mauvaise, l’andante trop haut et trop long, l’allegro trop bas et trop court, elle demandait des coupures, des changements, elle était