Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

enrhumée, etc., etc. ; vous savez par cœur la comédie de la cantatrice qui ne peut ni ne veut.

Enfin, madame Schubert, femme de l’excellent maître de concert et habile violoniste que vous connaissez, vint me tirer d’embarras en acceptant, non sans terreur, cette malheureuse cavatine dont sa modestie lui exagérait les difficultés. Elle y fut très-applaudie. En vérité, il semble qu’il soit plus difficile quelquefois de faire chanter Fleuve du Tage que de monter la Symphonie en ut mineur.

Lipinski avait tellement excité les amours-propres des musiciens, que leur désir de bien faire et leur ambition de faire mieux surtout que ceux de Leipzig (il y a une sourde rivalité musicale entre les deux villes) nous fit énormément travailler. Quatre longues répétitions parurent à peine suffisantes, et la chapelle en eût elle-même volontiers demandé une cinquième si le temps ne nous eût manqué. Aussi l’exécution s’en ressentit ; elle fut excellente. Les chœurs seuls m’avaient effrayé à la répétition générale ; mais deux leçons encore avant le concert leur firent acquérir l’assurance qui leur manquait, et les fragments du Requiem furent aussi bien rendus que tout le reste. La Symphonie funèbre produisit le même effet qu’à Paris. Le lendemain matin les musiciens militaires qui l’avaient exécutée, vinrent pleins de joie me donner une aubade, qui m’arracha de mon lit, dont j’avais pourtant grand besoin, et m’obligea, souffrant que j’étais d’une névralgie à la tête et de mon éternel mal de gorge, d’aller vider avec eux une petite cuve de punch.

C’est à ce concert de Dresde que j’ai vu pour la première fois se manifester la prédilection du public allemand pour mon Requiem ; cependant nous n’avons pas osé (le chœur n’était pas assez nombreux) aborder les grands morceaux, tels que le Dies iræ, le Lacrymosa, etc. La Symphonie fantastique plut beaucoup moins à une partie de mes juges. La classe élégante de l’auditoire, le roi de Saxe et la cour en tête, fut très-médiocrement charmée, m’a-t-on dit, de la violence de ces passions, de la tristesse de ces rêves, et de toutes les monstrueuses hallucinations du finale. Le Bal et la Scène aux champs seulement trouvèrent, je crois, grâce devant elle. Quant au public proprement dit, il se laissa entraîner au courant musical, et applaudit plus chaudement la Marche au supplice et le Sabbat que les trois autres morceaux. Cependant il était aisé de voir, en somme, que cette composition, si bien accueillie à Stuttgard, si parfaitement comprise à Weimar, tant discutée à Leipzig, était peu dans les mœurs musicales et poétiques des habitants de Dresde, qu’elle les désorientait par sa dissemblance avec les symphonies à eux connues, et qu’ils en étaient plus surpris que charmés, moins émus qu’étourdis.

La chapelle de Dresde, longtemps sous les ordres de l’Italien Morlachi et de l’illustre auteur du Freyschütz, est maintenant dirigée par MM. Reissiger et