Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m’annonça son intention de venir l’entendre, si l’intendant voulait lui accorder deux ou trois jours de congé. Je ne pris cette promesse que pour un très-aimable compliment ; mais jugez de mon chagrin, quand le jour du concert, où par suite de l’incident que j’ai raconté dans ma précédente lettre, le finale ne put être exécuté, je vis arriver Lipinski... Il avait fait trente-cinq lieues pour entendre ce morceau !... Voilà un musicien qui aime la musique !... Mais ce n’est pas vous, mon cher Ernst, que ce trait étonnera ; vous en feriez autant, j’en suis sûr ; vous êtes un artiste !

Adieu, adieu.


À HENRI HEINE


sixième lettre
Brunswick. — Hambourg.


Il m’est arrivé toutes sortes de bonheurs dans cette excellente ville de Brunswick ; aussi ai-je d’abord eu l’idée de régaler de ce récit un de mes ennemis intimes, cela lui aurait fait plaisir !... tandis, qu’à vous, mon cher Heine, le tableau de cette fête harmonique fera peut-être de la peine. Les immoralistes prétendent que dans tout ce qu’il nous arrive d’heureux il y a quelque chose de désagréable pour nos meilleurs amis ; mais je n’en crois rien ! C’est une calomnie infâme, et je puis jurer que des fortunes inattendues autant que brillantes, étant survenues à quelques-uns de mes amis, cela ne m’a rien fait du tout !

Assez ! n’entrons pas dans le champ épineux de l’ironie, où fleurissent l’absinthe et l’euphorbe à l’ombre des orties arborescentes, où vipères et crapauds sifflent et coassent, où l’eau des lacs bouillonne, où la terre tremble, où le vent du soir brûle, où les nuages du couchant dardent des éclairs silencieux ! car à quoi bon se mordre la lèvre, dérober sous des paupières mal closes de